L'Architecture à l'Expo 67

On connaît bien deux approches en ce qui concerne la manière d'aborder l'architecture d'une exposition mondiale. La première consiste à "dicter" le style architectural de l'ensemble des constructions, comme ce fut le cas lors de l'Exposition Colombienne de Chicago en 1893. L'autre approche consiste à donner libre cours à la créativité des architectes responsables des différents pavillons. C'est cette dernière option qu'ont adoptée les commissaires de l'Expo 67, leur seule condition étant que les pavillons devaient s'insérer dans le thème - assez large - de l'exposition: "Terre des Hommes"

Au moment de concevoir Expo 67, l'architecture urbaine était devenue plutôt conservatrice et inondait nos villes de hautes constructions cubiques qui avaient la particularité d'être économiques mais prévisibles. C'est exactement ce style ennuyant que les sociétés commerciales souhaitaient, mais le résultat fut une lassitude et une perte progressive de l'identité des villes. Cette philosophie architecturale s'est finalement montrée coûteuse dans le cas des grands immeubles d'habitation et des édifices publiques. Pire encore, ces constructions privaient leurs habitants du sentiment d'identité qu'ils avaient lorsqu'ils vivaient dans des maisons individuelles avec jardin, cour et porche.

Des architectes pourvus d'une conscience sociale plus développée ont imaginé des solutions pour couvrir de plus grands espaces avec moins de matériaux, avec un souci d'économie et le désir de préserver l'identité des individus. En même temps, ces architectes ont voulu faire preuve de créativité. Aussi, des idées originales furent proposées lorsqu'ils participaient aux concours que tenaient les différents pays en vue de la création de pavillons nationaux.

Le concept sans doute le plus innovateur utilisé a l'Expo fut l'architecture par volumes expressifs. En un effort pour "Faire plus avec moins", les architectes ont réussi à couvrir de larges espaces de manière économique et efficace en distribuant le poids total des constructions à l'aide de techniques complexes utilisant l'aluminium, les plastiques et autres nouveaux matériaux. Les pavillons représentatifs de cette approche sont ceux des États-Unis, des Pays-Bas, de l'Allemagne de l'Ouest, et les deux gros pavillons thématiques: " L'Homme à l'Oeuvre" et "L'Homme interroge l'Univers"

LE PAVILLON DES PAYS-BAS

Le pavillon des Pays-Bas est un chef d'oeuvre d'ingénierie, une structure en volumes expressifs consistant en 33 milles (57,000 pièces de 3 pieds de long chacune). Les pièces n'étaient ni rivées, ni soudées. Elles étaient plutôt assemblées à la manière d'un jeu de construction, à l'aide de clés. La salle d'exposition était suspendue à l'intérieur. Cette technique avait l'avantage de permettre une éventuelle expansion si requise. Il ne suffisait que de rajouter d'autres pièces. Cette approche architecturale très flexible donnait également à la structure un air de légèreté.

Les Néerlandais ont créé une construction en volumes expressifs à l'aide de 57,000 tuyaux d'aluminium.


LE PAVILLON DE L'ALLEMAGNE DE L'OUEST

L'élégante tente d'Otto Frei avait pour but de couvrir l'espace d'exposition du pavillon. Malgré que l'architecte ait mis plusieurs années pour développer son concept, il ne fallut que 6 semaines pour le monter. Son système consistait en un énorme filet d'acier suspendu à huit minces mâts de tailles variées et également faits d'acier. Les mâts étaient situés à intervalles irréguliers et étaient supportés par des câbles d'acier ancrés à l'extérieur de la structure. La surface couverte par le pavillon était celle d'un pâté de maisons. Quant au filet du toit, il était retenu par des haubans et couvert d'une peau de plastique translucide. Toutes les composantes de la tente furent réalisées en Allemagne.

Le pavillon de l'Allemagne de l'Ouest était recouvert par une tente d'allure moderne.


La structure répondait de manière adéquate à la double contrainte esthétique et financière. Du moins, c'était une manière élégante d'éviter la tyrannie du "cube" qui a su créer un espace intérieur beau et unique. L'espace intérieur était éclairé par la pellicule plastique translucide et à travers des ouvertures aux formes irrégulières dans le plafond. En ce qui concerne les coûts, la construction ne fut pas bon marché parce que les matériaux furent produits en quantités limitées. La structure avait toutefois beaucoup de potentiel. Ce toit de plastique et d'acier ne pesait que 150 tonnes, soit entre un tiers et un cinquième du poids d'une structure équivalente employant des matériaux habituels. Le concept de tente possède la flexibilité de pouvoir s'adapter à la topographie irrégulière de n'importe quel site. Ce concept fut repris, à une plus grande échelle, pour recouvrir la piscine aux Jeux Olympiques de Munich en 1972.

LE PAVILLON DES ÉTATS-UNIS

Les créateurs du pavillon des États-Unis ont choisi le dôme géodésique de Buckminster Fuller, d'une hauteur de 200 pieds (20 étages) et d'un diamètre de 250 pieds. Comme dans tous les dômes de Fuller, grands ou petits, on utilise des unités tridimensionnelles, soient un côté triangulaire à l'extérieur, un hexagone à l'intérieur, le tout ajusté pour former un arc comme base structurelle. En joignant toutes les unités ensemble, le poids total de la structure est distribué sur toute la surface. Afin d'éviter l'habituel demi-dôme dont l'apparence est trapue, les concepteurs du pavillon ont opté pour une sphère trois quarts qui s'ajustait admirablement au site.

Le pavillon des États-Unis était un dôme géodésique de Buckminster Fuller.


Ce fut le plus compliqué de ses dômes. Il utilisait un système élaboré d'écrans solaires afin de contrôler la température ambiante. Un ordinateur se chargeait d'ajuster chacun des écrans en fonction des rayons solaires. Par ailleurs, les parois extérieures étaient teintées et l'apparence du pavillon était étonnamment belle.

L'HOMME INTERROGE L'UNIVERS & L'HOMME À L'OEUVRE

Les architectes (de la firme Affleck, Desbarets, Dimakopoulos, Lebensold et Sise) des complexes thématiques se trouvèrent confrontés à la nécessité de produire rapidement des énormes pavillons avec des grands espaces ouverts. Ils décidèrent de les fabriquer à l'aide de petits blocs de construction, tout comme les Néerlandais avaient construit leur pavillon à partir de tuyaux d'aluminium. Les architectes canadiens choisirent la forme du tétraèdre tronqué - une forme utilisant des triangles, et dont les bouts sont tronqués, de manière à former un prisme. Des milliers de blocs furent utilisés pour construire rapidement les pavillons thématiques.

Plusieurs pavillons thématiques utilisèrent la technique des volumes expressifs afin de créer de gigantesques étalages qui tiraient le meilleur parti de l'espace peu coûteux.


Plusieurs pavillons thématiques utilisèrent la technique des volumes expressifs afin de créer de gigantesques étalages qui tiraient le meilleur parti de l'espace peu coûteux.

Les formes étaient gracieuses, mais les producteurs d'acier comprirent qu'il n'y aurait pas assez de soudeurs au Canada pour fabriquer toutes les pièces que les architectes demandaient. On décida alors de boulonner les pièces ensemble en utilisant de nombreuses entretoises. Le produit final était tout sauf gracieux, des kilomètres et des kilomètres de métal rouillé.

AUTRES PAVILLONS DONT L'ARCHITECTURE EST DIGNE DE MENTION

Le pavillon japonais et le pavillon thématique "L'homme dans la cité" utilisent des formes statiques de poutres entrecroisées. La différence de forme entre les deux pavillons réside dans le positionnement des éléments structurels de base. Dans le cas du pavillon japonais, l'empilage vertical créait une série de cubes interreliés, donnant l'impression d'une cabane en billots de bois, bien qu'en béton et en plus gracieuse. Le profil du pavillon L'homme dans la cité" avait l'apparence d'un ziggourat chaldéen. Les gigantesques poutres de bois étaient assemblées de manière à former des polygones similaires dont la taille décroissait progressivement, de la base au sommet.

L'homme dans la cité.


Le pavillon de L'Union Soviétique, par son utilisation de grandes surfaces de verre et d'alluminium, coiffé d'un toit en forme de saut à ski était loin du style architectural monolithique traditionnel. L'escalier mécanique montant à l'intérieur du pavillon préparait le visiteur à la surprise de taille, c'est à dire la vue des immenses poutres en V qui supportaient le toit. Le visiteur était ensuite emmené vers un espace de présentation organisé systématiquement et dominé par un énorme buste de Lénine. A l'intérieur, on présentait une exposition sur la technologie et l'avancement du programme spatial soviétique.

Le pavillon de la Grande-Bretagne avait l'apparence d'un château massif dont les murs, bien que fabriqués à partir d'un matériau cartonné, semblaient être faits de pierre. La cime ébrèchée de sa tour en forme de cône était dominée d'une version Pop Art du drapeau Union Jack et donnait volontairement l'apparence d'une construction incomplète. Une manière de symboliser la contribution inachevée de la Grande-Bretagne au reste du monde. Les pièces présentées à l'intérieur étaient attrayantes, les Britaniques tentèrent ainsi de charmer le visiteur.

Le pavillon Français, quant à lui, était une sculpture moderne en soi. Malgré le bon goût de sa facture, les critiques architecturaux prétendaient que ses ailettes semblaient à peine attachées à la structure. Un immense puits créait un espace ouvert autour duquel on avait accès aux étages remplis de pièces exposées. L'arrangement intérieur des escaliers et balcons donnait une impression de grand espace, mais faisait quelque peu ombrage à la tentative de noyer le visiteur dans une multitude de pieces d'exposition à caractère technologique.

Le pavilon de l'Autriche a fait un certain usage de l'approche des volumes expressifs. On y retrouvait des unités architecturales triangulaires qui servaient de cellules habitables. A l'extérieur, le résultat donnait un coup d'oeil frappant dans son style géométrique et permit une utilisation efficace des espaces intérieurs.

HABITAT 67

Habitat 67, qui était une expérience sur le thème de la vie en appartement, est devenu un symbole d'Expo 67après la clôture de l'exposition. C'était une tentative de l'architecte Canadien Moshe Safdie de créer des habitations moins coûteuses et plus confortables pour les masses. Il a tenté une révolution dans la manière de construire, en introduisant le principe de production de masse, par le procédé de préusinage des modules. Il croyait beaucoup en l'efficacité de la construction en usine.

Safdie était insatisfait des banlieues qui détruisent les espaces ouverts autour de la ville et empêchent à ses habitants de profiter des avantages de la ville. Il était également insatisfait des édifices à appartements en hauteur, qui concentrent les gens sur peu d'espace. Ces appartements étaient généralement trop petits pour répondre aux besoins des familles en croissance et offraient peu d'intimité et d'espaces extérieurs. En fait, il était convaincu du fait que ces appartements étaient inadéquats pour les familles.

La planification qu'il avait fait d'Habitat tentait de trouver un moyen de faire tenir le plus grand nombre d'individus dans un espace restreint tout en leur permettant un minimum des avantages des maisons unifamiliales. Il voulait construire une ville dans le ciel, une ville en 3D qui pouvait contenir 1000 unités d'habitation avec des boutiques et même une école. Ce qu'il proposait était une expérience non seulement en matière d'habitation, mais également en termes de vie communautaire.

Mais entre 1964 et 1966, au moment des débuts de la construction, le projet fut réduit à 158 unités d'habitation, sans boutiques ni école. Ce qui devait devenir une petite vile est devenu un complexe d'habitation extrêmement onéreux. Pire encore, à la suite de la fermeture d'Expo 67, l'endroit s'avéra loin des lieux commerciaux et domiciliaires de Montréal.

Les 158 unités d'Habitat 67 ressemblaient à un village d'Indiens Taos.


Tel qu'il était conçu, Habitat ressemblait à une curieuse montagne de béton habitable, à la fois étonnamment moderne et rappelant les villages des Indiens Taos, ou encore un village des montages italiennes. Les unités sont déposées sur le sol, puis empilées jusqu'à des hauteurs de 5 ou 6 étages à l'aide d'une grue mécanique.

Une usine fut construite à côté du site d'Habitat. Elle contenait 4 grands moules à l'intérieur desquels les unités aux mesures standard étaient coulées. Il suffisait d'insérer une cage faite de tiges d'acier à l'intérieur du moule et de verser du béton autour de la cage. Après que le béton fut durci, l'unité était transportée vers une chaîne de montage où les planchers de bois étaient fixés et sous lesquels on pouvait retrouver des installations électriques et mécaniques. Les fenêtres et matières isolantes étaient ensuite installées, puis les modules de salle de bains et de cuisines. Enfin, l'unité était transportée vers son emplacement définitif sur le site.

Il y eut 354 de ces unités en tout. Ce fut vraiment la manière de les disposer et de les assembler qui donna son caractère inhabituel tant à l'ensemble extérieur qu'à l'aspect intérieur. Les unités étaient organisées de manière à former 15 types différents d'habitations individuelles. Elles variaient d'un logement à une chambre à coucher (600 pieds carrés) à une maison de 4 chambres à coucher. Chacune possède un jardin privé de 17 par 35 pieds. Le toit de chacun est le jardin du voisin. L'organisation des unités permettait de préserver l'intimité et donnait une impression d'unicité.

Les techniques de fabrication en usine auraient dû limiter les frais de production, mais construire 158 appartements ne s'avéra pas vraiment productif, en raison des apprentissages nombreux que requiert une nouvelle technique. Par ailleurs, parce que les étages du dessous supportaient ceux du dessus, les modules inférieurs étaient plus épais et plus solides que ceux du dessus. Au bout du compte, Habitat 67 coûta plus de $22,195,920, soit en moyenne $140,000 par habitation, ce qui représente des coûts de construction équivalents à 6 ou 8 maisons unifamiliales de l'époque. Évidemment on peut toujours dire qu'il s'agissait là d'un prototype, et qu'à une autre échelle les coûts seraient moindres.

Les visiteurs étaient impressionnés, mais n'adoptèrent pas le concept pour autant. De loin, le complexe avait bien l'air d'une superbe sculpture Cubiste, mais de près, le béton gris de l'extérieur avait une apparence ennuyante et terne, comme si personne n'y habitait vraiment. A l'intérieur du complexe, Safdie avait conçu des rues piétonnières couvertes de matière plastique qui reliaient ensemble les appartements, les stationnement et ascenseurs. Ces installations furent mal adaptées aux rigueurs du climat de Montréal. Par conséquent, si le complexe avait été construit dans un environnement plus attirant, les gens auraient peut-être été plus enclins à s'accomoder de tels désagréments. Par contre, peu des 50 millions de visiteurs d'Expo 67 auraient pu contempler ce site innovateur.



Traduit de l’américain et adapté par Jacques Bertrand

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